26 Avril 2023

Objectifs scientifiques

Euclid est une mission de l'ESA pour cartographier la géométrie de l'Univers en étudiant l'évolution des structures cosmiques à travers les âges sous les deux effets antagonistes suivants :

  • Une composante mystérieuse appelée énergie noire, ou sombre (de l’anglais “dark energy”), responsable de l’expansion accélérée de l’univers. L’expansion de l’univers a été prédit par Georges Lemaître en 1927 sur la base d’un modèle bâti à partir des équations de Friedmann-Lemaître entre 1923 et 1925 en exploitant la théorie de la relativité générale éditée par Albert Einstein en 1915.
    Cette expansion a été observée pour la première fois par Edwin Hubble en 1929 et mise en équation sous la forme de la célèbre loi de Hubble, rebaptisée loi de Hubble-Lemaître au congrès de l’IAU (International Astronomical Union) de 2018. Le modèle cosmologique standard actuel, basé sur des observations beaucoup plus lointaines qu’Hubble a permis à 3 astronomes, Saul Perlmutter, Brian P. Schmidt et Adam G. Reiss d’être nobélisés en 2011 après avoir découvert que l’univers était en accélération depuis plusieurs milliards d’années sous l’effet donc de cette énergie noire.

  • La gravitation qui façonne la distribution de matière, et donc qui lie entre elles les étoiles et les galaxies dans l’univers au sein d’une structure en filaments appelée toile cosmique. La gravitation elle-même a pour origine la matière, mais la quantité de matière visible est largement insuffisante pour en expliquer les effets, d’où la présence supposée d’une matière indétectable avec les instruments d’aujourd’hui appelée matière noire, ou sombre (de l’anglais “dark matter”).
    Le concept de matière noire a été proposé pour la première fois par l’astronome Frite Zwicky dès 1933. En observant la cohésion de galaxies de la chevelure de Bénérice (Amas de la COMA) et en calculant la masse dynamique de l’amas à partir de la loi de Newton, il s’est aperçu que cette masse était très supérieure à la masse effective de l’amas déterminée à partir de la loi masse-luminosité.
    Plus tard, l’astronome Vera Rubin a fait le même constat, dès 1973, en exploitant les courbes de rotation de nombreuses galaxies et en mesurant la vitesse de rotation des étoiles du disque autour de leur centre galactique par effet Doppler-Fizeau. Les vitesses mesurées étaient bien supérieures aux vitesses calculées avec la loi de Newton, montrant la présence d’une source de gravitation bien supérieure que celle issue de la matière visible, validant ainsi le concept de matière noire. Il est aujourd’hui estimé qu’il y a 5 fois plus de matière noire que de matière visible dans l‘univers.

   

Le modèle cosmologique standard permet aujourd’hui d’estimer que l’univers est constitué de 69% d’énergie noire, de 26% de matière et de seulement 5 % de matière visible, dite baryonique (matière constituée d’atomes). 95% de l’univers nous échappe. L'existence et la gamme d'énergie de l'énergie sombre ne peuvent pas être expliquée avec nos connaissances actuelles en physique fondamentale et la matière noire reste désespérément invisible à tous nos instruments.

bpc_euclid_constituion-univers-credit-consortium-euclid.jpg

Constitution de l’univers.

Crédits : Consortium Euclid

Les effets de la gravité induit par la matière, visible et surtout noire, et les effets de l’énergie noire sont antagonistes et ne s’équilibrent pas. Après une phase de décélération principalement due aux effets gravitationnels induites par la matière (visible et noire) pendant les premiers milliards d’années, l’univers est donc aujourd’hui en expansion accélérée sous l’effet de l’énergie noire qui manifestement a pris le dessus sur la gravité.

bpc_euclid_histoire-expansion-univers-credits-euclidredbook.jpg

Histoire de l’expansion de l’univers.

Crédits : Euclid Redbook - Definition Study Report / ESA/SRE (2011)12, July 2011

Les observations couvriront toute la période au cours de laquelle l'énergie noire a joué un rôle significatif dans l'accélération de l'expansion, c’est-à-dire jusqu’à 10 milliards d’années dans le passé, ce qui impose d’observer des objets dont les spectres sont décalés vers le rouge jusqu’à une valeur de z = 2. 

L’évolution des grandes structures de l’univers nécessitera de suivre la distribution spatiale (3D) des galaxies et des amas de galaxies en fonction du temps, donc en fonction du redshift. Celui-ci sera déterminé de manière précise par spectrophotométrie, c’est-à-dire en mesurant le décalage vers le rouge de raies d’émissions caractéristiques telles que celles de l’hydrogène après dispersion de la lumière. Il est prévu d’observer environ 35 millions de sources.

La distribution de matière noire sera reconstruite à partir d’images de galaxies, images déformées par la gravitation, plus précisément pas les effets de lentille gravitationnelle, et ce dans l’espace et dans le temps. Ceci nécessitera également de connaitre pour chaque source leur redshift. Celui-ci sera effectué par des méthodes photométriques, ce qui nécessitera de compléter les images du télescope EUCLID par des mesures photométriques infrarouge à bord et avec l’assistance de télescopes terrestres pour des mesures dans le domaine visible. Ces télescopes devront opérer dans les hémisphères nord et sud de façon à couvrir la totalité des 14 700 degrés² de la mission. Il est prévu d’observer environ 1.5 milliards de sources.

La nature de l’énergie noire et celle de la matière noire sont donc aujourd’hui inconnues, et nous n’en voyons que les effets. EUCLID propose donc de les étudier sur la base de deux sondes cosmologiques, l’effet de lentille gravitationnelle (ou WL pour Weak gravitational Lensing) et les oscillations acoustiques de baryons (ou BAO pour Baryonic Acoustic Oscillations).

    

L'effet de lentille gravitationnelle faible (ou WL - Weak gravitational Lensing)

Une lentille gravitationnelle est produite par la présence d'un ou de plusieurs corps célestes très massifs, typiquement une galaxie ou un amas de galaxies se situant entre un observateur et une source lumineuse lointaine. Prédit par la relativité générale d’Einstein, le champ gravitationnel induit par ce ou ces corps massifs va dévier, à leur voisinage, les rayons lumineux de la source en arrière-plan, déformant ainsi les images que recevra un observateur placé sur la ligne de visée. 

Formulée par Einstein en 1915, la déviation induite par le Soleil s’écrit α(rd) = 4GM/Rc2 avec G la constante de gravitation, M la masse su Soleil, R la distance an centre du Soleil et c la vitesse de la lumière. Pour un rayon lumineux passant au proche voisinage du Soleil, cette valeur est de α = 1.745’’ (seconde d’arc). 

Déviation d’un rayon lumineux par le Soleil - Crédits : https://ichi.pro/fr/la-theorie-de-la-gravite-d-einstein-et-la-flexion-de... (adaptation)

  

Cette valeur fut brillamment confirmée par des astronomes lors de l’éclipse totale du Soleil du 29 mai 1919 qui occultait l’amas stellaire brillant des Hyades, ce qui validait de manière cette théorie d’Einstein. 

A plus grande échelle, le trajet de l’une image d’une galaxie située derrière un amas est également affecté par les effets gravitationnels de l’amas. En cas d’alignement parfait entre la source observée, le corps céleste jouant le rôle de lentille gravitationnelle et l'observateur, l’image peut prendre la forme d’arcs ou d’un anneau appelé anneau d’Einstein. On parle alors de lentille gravitationnelle forte.

Principe de lentillage gravitationnel fort - Crédits : ALMA (ESO NRAO NAOJ), L. Calçada (ESO), Y. Hezeh et al)

   

Anneaux d’Einstein - Crédits : Hubble Space Telescope (NASA / ESA)

  

Si la source observée, le corps céleste jouant le rôle de lentille gravitationnelle et l'observateur ne sont pas alignés sur un même axe, on aura un effet de lentillage gravitationnel faible. Les lentilles gravitationnelles faibles (WL) se limitent alors à des distorsions d’images, plus fréquentes mais plus difficiles à observer. 

Illustrations de l'effet d'une lentille sur une image à symétrie circulaire.

Dans l'amas de galaxie Abell 370, des arcs de lentilles fortes peuvent être vus autour de l'amas.

Toutes les galaxies de l'arrière-plan subissent un effet de lentille faible.

Crédits : NASA, ESA, HUBBLE (Rogelio Bernal Andreo )

Euclid utilisera ces dernières pour mesurer les distorsions d’images de galaxies, induites par les effets gravitationnels de la matière, visible et noire au sein des amas de galaxie pour ainsi en déduire et cartographier cette matière noire qui échappe à nos yeux et aux détecteurs de nos instruments. L'utilisation de l'effet des lentilles gravitationnelles faibles requiert des images d'extrêmement haute qualité car les distorsions possibles de l'image par le système optique doivent être supprimées ou éliminées par étalonnage pour pouvoir mesurer la réelle distorsion due à la gravité. Pour plus d'un milliard d'entre elles, la déformation gravitationnelle induite par la matière noire sera mesurée avec une précision 50 fois meilleure que ce qu'il est possible de faire aujourd'hui depuis les télescopes terrestres

A gauche, reconstitution de la matière noire pour différentes valeurs du redshift z par HST (Hubble Space Telescope - Télescope Spatial Hubble) - Crédits : ESA

Au centre, image de l’amas Abel 1689 prise par HST - Crédits : NASA, N. Benitez (JHU), T. Broadhurst (Racah Institute of Physics/The Hebrew University), H. Ford (JHU), M. Clampin (STScI),G. Hartig (STScI), G. Illingworth (UCO/Lick

A droite, reconstitution sur ce même champ de la distribution de matière noire pour z=0.189 (distance d’environ 60 Mpc correspondant à – 2 milliards d’années) - Crédits : NASA, ESA, D. Coe (NASA Jet Propulsion Laboratory/California Institute of Technology, and Space Telescope Science Institute), N. Benítez (Institute of Astrophysics of Andalucía, Spain), T. Broadhurst (University of the Basque Country, Spain), and H. Ford (Johns Hopkins University, USA

 

  

Les oscillations acoustiques baryoniques (ou BAO - Baryonic Acoustic Oscillations)

Pendant quelques centaines de milliers d’années après le Big Bang, l’Univers était rempli d’un plasma de baryons (protons et neutrons) et de photons qui étaient en interaction permanente. Alors que la gravité créait des accumulations de matière (baryons) dans les endroits de plus forte densité, l’énergie des interactions entre baryons et photons créait une pression qui s’opposait à l’influence de la gravité.

Ces phénomènes antagonistes créaient des oscillations de pression dans ce plasma, des ondes acoustiques sphériques similaires à des ondes sonores. Ces oscillations, appelées « oscillations acoustiques baryoniques », ou BAO (Baryon Acoustic Oscillations), correspondent aux anisotropies que l’on observe dans le Fond Diffus Cosmologique (CMB, ou Cosmologic Microwave Background). En effet, au moment du découplage rayonnement – matière, 380 000 ans après le big-bang (à z = 1100 environ), les photons ont pu s’échapper et nous donnent accès à cette première image de l’univers (le CMB).

A ce moment, les baryons qui constituent la matière visible se sont alors figés sur des zones de surdensité, avec des filaments et des murs séparés par d’énormes vides, en particulier sur les fronts d’ondes sphériques, autour de « coquilles ». C’est dans ces « coquilles », formant des structures à grande échelle, qu’étoiles, galaxies et amas vont naitre et évoluer au gré de l’expansion de l’univers.

Distribution des galaxies : on devine une répartition en cercle sur des fronts d’ondes acoustiques. Credit: Zosia Rostomian, Lawrence Berkeley National Laboratory

Lorsque l’on analyse, dans l’univers local, la distribution d’un grand nombre de galaxies et que l’on trace un graphe de la distance angulaire moyenne entre les galaxies comme montré sur l’image ci-dessus, on aperçoit un maximum de probabilité autour de 500 millions d’années-lumière (150 millions de Pc, noté 150 Mpc, sachant que 1Pc est égal à environ 30 000 milliards de km). Deux galaxies prises au hasard ont donc plus de chances d’être séparées de 150 Mpc d’années-lumière que de 100 ou de 200 Mpc par exemple et se retrouvent préférentiellement dans des coquilles dont ce diamètre de 150 Mpc (500 millions d’années-lumière), aujourd’hui, est le résultat de l’expansion de l’univers depuis le découplage.

 

Pic BAO montrant une distance de séparation entre galaxies de plus forte probabilité. La distance est d'environ 500 millions d'années lumières (AL), soit 150 Mpc . Crédit : NASA's Goddard Space Flight Center

  

Pour mesurer des distances très lointaines dans l’univers, on utilise en général des chandelles standards. Une chandelle standard est une source émettant toujours la même luminosité, celle-ci étant connue à une distance standard. Ensuite, sachant que la luminosité décroit en fonction du carré de la distance (les photons de propagent sur une surface sphérique), il suffit d’une règle de 3 (moyennant quelques corrections astronomiques) pour estimer la distance d’une source très lointaine. Les chandelles standards les plus connues sont les céphéides, et surtout les supernovæ de type 1a.

Mais EUCLID utilisera les BAO, car elles fournissent une règle standard, un étalon de distance permettant de mesurer la distance entre galaxies. Associée à la mesure du décalage spectral z effectué en spectrométrie infrarouge, il sera possible de mesurer l’expansion de l’univers à différentes époques et donc d’avoir accès à l’histoire de l’expansion de l’univers. Cette méthode implique une détermination du décalage dans le rouge des galaxies à mieux que 0.1%, et ceci ne peut être accompli que par spectroscopie. 

La distance standard de 150 Mpc correspondant au pic BAO évolue à travers les âges à cause de l'expansion de l'univers. Ici, par exemple, il y a 3.8 milliards d'années, ou Ga (correspondant à z = 0.8), cette distance était de 150 MPc / (1+z), soit 83 Mpc. A titre d'information, 5.5 Ga correspond à z = 1 et au moment du découplage laissant apparaitre le fond diffus cosmologique (CMB), il y a 13.7 Ga, on a z = 1100.
Crédits :  E M Huff, the SDSS-III team and the South Pole Telescope team; graphic by Zosia Rostomian.

  

Les BAO fournissent donc un étalon de distance avec lequel il sera possible d’estimer, en fonction du redshift z, donc de l’époque, les distances et la distribution spatiale des galaxies ("galaxy clustering"). Pour le faire de manière précise, il faudra faire abstraction de la vitesse propre des galaxies dont l’effet Doppler-Fizeau qui se superpose à celui de l’expansion (redshift z) et qui induit des déformations de la distribution des galaxies dans la direction parallèle à la ligne de visée par rapport à la direction perpendiculaire.

Ces déformations sont appelées distorsions dans l’espace des redshifts (Redshift Space Distortions, ou RSD) et sont directement liées à un effet d’effondrement cohérent de galaxies qui s’attirent sous l’effet de l’interaction gravitationnelle. Cette technique permettra de reconstituer l’histoire et l’évolution des grandes structures de l’univers dans lesquelles des galaxies et les amas de galaxies se regroupent sous l’action de la gravité

Euclid proposera de reconstruire d’histoire et l’évolution des grandes structures de l’univers sur les 10 derniers milliards d’années (z=2). Crédits : DR

  

Cartographie de l’univers réalisée jusqu’à z=0.15 (-1.3 milliards d’années environ) réalisé à partir du relevé BOSS (Baryon Oscillation Spectroscopic Survey) du programme astronomique SDSS (Sloan Digital Sky Survey) montrant la structure filamenteuse de la toile cosmique - Crédits : SDSS

  

Étudiées dans le même volume cosmique, ces techniques fourniront non seulement un examen croisé systématique, mais aussi une mesure des structures à grande échelle pour différents champs physiques (potentiel, densité, vitesses), qui sont requis pour tester l'énergie sombre et la gravité aux échelles cosmologiques.

Avec ses capacités large champ et sa conception à haute précision, EUCLID permettra, entre autres :

1. de rechercher les propriétés de l'énergie sombre en mesurant précisément l'accélération ainsi que la variation d'accélération à différents âges de l'Univers,
2. de tester la validité de la relativité générale à l'échelle cosmique,
3. de rechercher la nature et les propriétés de la matière noire en cartographiant en 3 dimensions la distribution de matière noire dans l'Univers,
4. de raffiner les conditions au début de notre Univers, qui ont initié la formation des structures cosmiques que nous voyons aujourd'hui. 

  

In fine, EUCLID permettra de répondre à de nombreuses questions dont les principales sont les suivantes :

  • L’énergie noire est-elle simplement une constante cosmologique, comme proposé tout d’abord par Einstein ?
  • Existe-t-il un nouveau type de champ, à l’instar des champs connus comme par exemple le champ magnétique ou le champ de gravitation, qui évolue dynamiquement avec l’expansion de l’univers ?
  • L’énergie noire serait-elle plutôt la manifestation d’une rupture avec la relativité générale et une déviation de la loi de la gravité ?
  • Quels sont la nature et les propriétés de la matière noire ?
  • Quelles sont les conditions initiales à l’origine de la formation des grandes structures de l’univers ?
  • Quel sera le futur de l’univers dans les prochains milliards d’années ?