EUCLID en bref
EUCLID est une mission d'astrophysique, dédiée à la cosmologie, à savoir l'étude de la nature, de l'origine et de l'évolution de l'Univers. Il s'agit de la seconde mission européenne d'exploration spatiale à décoller en 2023 : elle a été précédée par JUICE, la sonde envoyée dans l'espace en avril dernier pour étudier Jupiter et trois de ses lunes glacées.
EUCLID est une mission M2 (dite moyenne) du programme scientifique Cosmic Vision de l'ESA. Elle a été décidée par l'Agence spatiale européenne en 2011. 15 Etats Membres de l'ESA y ont participé : Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Italie, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Roumanie, Royaume-Uni, Suisse et Canada, en plus des Etats-Unis. En 2012, le Consortium EUCLID voit le jour : il est en charge de la contribution instrumentale et du développement du segment sol, qui servira pour la phase d'exploitation des données. Le consortium regroupe plus de 2 200 personnes (dont 425 en France) réparties dans environ 250 laboratoires (dont 40 en France). Il est piloté par l'IAP, l'Institut d'astrophysique de Paris. Le satellite a été développé sous maîtrise d'œuvre de Thales Alenia Space Italie.


Révéler les secrets de l'Univers
La sonde spatiale EUCLID partira explorer 1/3 de la voûte céleste, soit la partie visible du ciel. Environ 95% de l'Univers est composé d'une matière sombre, qui n'émet pas de lumière, et d'une énergie dite « noire ». Ces deux phénomènes demeurent méconnus. EUCLID tentera ainsi de nous apporter des réponses sur ces mystérieuses matière et énergie noires : une tâche loin d'être simple et pionnière en la matière !
Pour accomplir sa mission, le satellite est équipé d'un télescope très puissant qui permettra d'observer des centaines de millions de galaxies et de voyager jusqu'à 10 milliards d'années dans le passé. Grâce à ces observations, la communauté scientifique disposera d'une carte extrêmement détaillée de l'Univers. Nous pourrons ainsi mieux comprendre le rôle joué par l'expansion accélérée de l'Univers et la gravitation dans les origines et l'évolution des grandes structures formées de galaxies. A l'origine de ces deux évolutions : respectivement, l'énergie noire et la matière noire.
Le lancement d'EUCLID est prévu ce samedi 01/07, depuis la base de lancement américaine de Cap Canaveral. 4 semaines après le lancement, EUCLID atteindra le point de Lagrange L2, soit sa position finale. Pendant ce mois de transfert, l'ensemble des systèmes satellite seront testés, puis suivront 2 mois de tests des instruments de manière à vérifier leurs performances. Les observations, quant à elles, débuteront donc 3 mois après le lancement. Aujourd'hui, la durée de cette mission est estimée à 6 ans.
La France à bord d'EUCLID
Interview d'André Debus, chef de projet EUCLID au CNES
Dans le cadre de la mission EUCLID, le CNES recouvre le rôle de maître d'ouvrage. En quoi cela consiste ?
« Le CNES assure le rôle de maître d'ouvrage vis-à-vis de l'ESA : il est responsable de la livraison des contributions instrumentales et du segment sol français à la mission, explique André Debus, chef de projet EUCLID au CNES depuis 2020. « Il participe ainsi aux comités de pilotage d'EUCLID avec l'ESA et les autres agences impliquées ».
Au cours de ces réunions, l'ESA présente l'avancement global du projet et les autres agences dressent les bilans des contributions nationales. « Les agences nationales apportent un financement et sont en relation avec les laboratoires scientifiques, elles suivent les développements, les plannings et gèrent les éventuels manques (RH, financements, expertise…). »
« La France est le 1er pays contributeur à EUCLID (33%), précise André Debus, en prenant en compte la contribution du CNES au programme Space Exploration de l'ESA, les contributions instrumentales françaises et les participations au développement du segment sol scientifique. »
Le CNES a soutenu 13 laboratoires du CNRS-INSU (Institut National des sciences de l'Univers), du CNRS-IN2P3 (Institut national de physique nucléaire et de physique des particules), le Centre de calcul de l'IN2P3, l'IRFU (Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers) et un laboratoire du CEA (Commissariat à l'Energie Atomique). Ces 13 laboratoires ont travaillé sur des composantes instrumentales et développé des algorithmes pour les logiciels destinés au traitement des données.
En tant que chef de projet EUCLID au CNES, pourriez-vous nous décrire votre rôle ?
« Le chef de projet garantit la coordination globale de la participation au niveau national : il assure les financements, il rédige les conventions avec les acteurs nationaux et suit les développements des contributions », explique André Debus. Le chef de projet est donc toujours en contact avec les référents des laboratoires pour suivre l'avancement du projet. « La relation avec les laboratoires français s'est déroulée de manière très agréable, c'était un plaisir de travailler avec eux et j'ai aussi beaucoup appris à leur contact », ajoute-t-il.
« Cette mission internationale m'a permis de rencontrer beaucoup de personnes travaillant tout comme moi sur ce beau projet : notamment à l'occasion des "Journées EUCLID France", qui se tiennent une fois par an, ou lors des "Meetings du Consortium EUCLID" qui donnent l'opportunité à tous les scientifiques et ingénieurs faisant partie de ce consortium international de se rencontrer et présenter l'ensemble des activités. »
Matière noire et énergie noire, pourquoi nous intéressons-nous à ces phénomènes… obscurs ?
Examiner la matière noire et l'énergie noire, c'est mieux comprendre la structure de l'Univers et le phénomène de son expansion. Le but de la mission EUCLID est d'étudier les grandes structures de l'Univers, et de voir comment elles ont changé à travers les âges.
« L'évolution de ces structures fait intervenir 2 phénomènes antagonistes : l'expansion et la rétraction. Le premier est dû à la présence d'énergie noire, alors que le deuxième est la conséquence de la force gravitationnelle due à la matière ». La matière dite baryonique (celle qui nous constitue et qui constitue l'Univers visible ou détectable avec nos instruments) n'est pas suffisante pour expliquer l'ensemble de la gravitation présente dans l'Univers.
Aussi, depuis les années 30, « nous pensons qu'il existe un autre type de matière qui est invisible et indétectable directement, dite noire ou sombre, laquelle agit sur la gravitation tout comme la matière visible ».
En chiffres : la matière noire est 5 fois plus présente dans l'Univers que la matière visible.
A-t-on déjà étudié ces deux phénomènes ?
EUCLID est une mission tout à fait originale, c'est du jamais vu : aucune mission, jusqu'à aujourd'hui, n'a été dédiée et conçue pour étudier d'aussi près et avec une telle précision ces deux phénomènes.
Quid de Hubble et Webb ? Ils n'ont pas été dédiés spécifiquement à ces objectifs comme EUCLID.
« Ponctuellement Hubble a essayé de mettre en lumière la matière noire mais sur une zone bien plus petite que celle qui sera observée par EUCLID – correspondant à 1/3 de la voûte céleste. Quant à Webb, il peut voir plus loin, mais son champ de vue est beaucoup plus petit que celui d'EUCLID ». Dans les faits, les images que le nouveau satellite fournira - qui s'annoncent remarquables - représenteront 2 fois et demi la surface de la pleine lune : « Sur une seule image, on pourra voir jusqu'à 50.000 galaxies. »
Le but est d'aller cartographier des centaines de millions de galaxies : « On pourra ainsi réviser nos connaissances sur l'origine de l'Univers. Les modèles que nous avons aujourd'hui, basés sur la théorie de la relativité, sont toujours valables, mais nous voudrions les faire évoluer en les enrichissant par les découvertes d'EUCLID ».
Quels sont les instruments français à bord d'EUCLID ?
Pour réaliser cette cartographie exceptionnelle de l'Univers, EUCLID aura à son bord 2 instruments développées par le consortium international dirigé par la France, l'IAP en particulier.
Le premier est NISP : un spectrophotomètre proche de l'infrarouge, développé sous la responsabilité du LAM (Laboratoire d'Astrophysique de Marseille) qui a notamment fourni la partie opto-mécanique, en plus de 2 fournitures étrangères, une italienne et une espagnole, sur la partie électronique. Cet instrument réalisera à la fois des images et des spectres, afin d'étudier l'évolution des grandes structures de l'Univers. Les spectres serviront à déterminer le paramètre appelé redshift spectrométrique (décalage spectral vers le rouge) permettant, avec l'aide du diagramme de Hubble, d'estimer les distances et ainsi indirectement de définir l'âge des galaxies.
VIS est le deuxième instrument de la sonde. Il est sous la responsabilité anglaise avec 5 contributions, dont 3 françaises (plan focal, boitier électronique de contrôle des mécanismes et de puissance et source de calibration). Celui-ci observe les galaxies dans le spectre du visible. Le but est d'évaluer la déformation de l'image des galaxies par les effets générés par la matière baryonique et la matière noire présentes dans les amas de galaxies. « Einstein avait prédit que le rayon lumineux s'arrondissait en passant près d'une source de gravitation : si une galaxie se situe à l'arrière d'un amas de galaxies, le rayon s'incurve et la galaxie apparait déformée. A travers cette déformation, les algorithmes développés par les scientifiques des laboratoires peuvent reconstituer la matière noire qui se trouve à l'intérieur ». Les galaxies imagées par VIS seront également associées à des mesures de redshift déterminées à partir de mesures photométriques à travers des filtres infrarouges (réalisées pas le NISP en support au VIS) et des filtres visibles à l'aide de 8 télescopes au sol.
Sans oublier le segment sol ! Qu'en est-il ?
« Le développement du segment sol qui servira pour le traitement des données est de responsabilité italienne et la France en est co-lead. Le CNES est leader de l'équipe système sol, qui coordonne l'ensemble des activités. Les laboratoires financés par le CNES ont développé des algorithmes pour le traitement des données ». Cette mission mobilise 9 Science data centers, dont un français. La France est responsable de 3 chaînes de traitement et est co-lead de 3 autres. Au CNES, Pierre Casenove est responsable de cette activité d'exploitation de données. Elle sera menée en étroite collaboration avec les scientifiques mobilisés dans les différents laboratoires.
« On estime aujourd'hui que le volume de données qui sera généré chaque jour par télescope atteindra les 800 giga bit. Sur Terre, en 6 ans de mission, 170 000 millions de giga octets de données seront traités dans les centres de calcul . Cela représente plusieurs centaines de milliers de disques durs d'ordinateur, soit une pile de disques durs de plus de 2 km de hauteur ! »

Biographie d'André Debus
Au CNES depuis plus de 30 ans, André Debus a commencé sa carrière dans le domaine des missions d'exploration de Mars et des activités de protection planétaire, qu'il a poursuivies pendant 20 ans. « La protection planétaire comprend l'ensemble des mesures à mettre en œuvre pour éviter la contamination biologique des planètes que nous allons visiter ainsi que de notre planète ».
« J'ai porté beaucoup d'intérêt à la planète Mars : j'ai travaillé sur les missions Mars 96, Mars 2020 et Exomars. Puis, dans le cadre de la mission Rosetta, j'ai été pendant 8 ans responsable qualité, puis responsable technique au CNES et je me suis surtout occupé des contributions françaises de l'atterrisseur Philae ». Après une mission de 6 ans en détachement à l'ESTEC pour travailler sur Exomars, André revient au CNES en 2015 sur le poste de Chef de projet des contributions françaises à Exomars, puis dès début 2020 pour PLATO et EUCLID après avoir également géré les 2 dernières années de développement du projet Mars2020 / Perseverance (instrument SuperCam).